
Pays touristique, la Tunisie perd de son attrait. Son potentiel reste intact, avec un produit diversifié, alliant le balnéaire et le culturel, mais il ne cesse d’accuser une dégradation continue de son environnement.
Outre la pollution industrielle qui a transformé le littoral de Gabes (Sud) en une mer morte et le rejet sauvage des eaux usées non traitées des années durant, c’est le cadre de la vie dans les cités qui suscite inquiétudes et questionnements.
En l’absence d’une véritable politique environnementale, la Tunisie, dont les institutions sont paralysées et le pouvoir de décision des autorités publiques s’est considérablement affaibli, offre partout une image loin d’être idyllique.
La fin de l’idylle
Partout où on déambule, l’on est quelque peu surpris, voire agressés, de la prolifération des déchets de toutes sortes : ordures ménagères non ou mal ramassées, sacs et bouteilles en plastique omniprésents, gravats déversés en toute impunité en bordure des routes et à l’entrée des villes. Outre le déficit d’autorité, c’est au niveau mental que ce phénomène a trouvé des ressources pour s’amplifier. Les Tunisiens ne se sentent plus impliqués dans leur environnement immédiat, leur laisser-aller, s’agissant de la propreté du milieu, reflète une sorte de blocage qui les empêche de s’approprier leur ville, leur quartier et leur entourage.
Un écroulement silencieux !
Une sorte d’insouciance, une légèreté déconcertante dans la perception d’un problème d’une extrême importance, semble avoir pris le pas. Avec l’affaiblissement du rôle et des pouvoirs des collectivités locales, leur incapacité à gérer les dossiers essentiels en relation avec la qualité de la vie dans les différentes villes, les choses sont loin de s’arranger et le pays risque, aujourd’hui, de crouler sous les déchets.
En effet, voir des ordures qui s’amoncellent partout, même dans les quartiers résidentiels les plus chic de la capitale, des hordes de chiens errer partout, des gravats déchargés tout autour de certaines artères principales, ne surprend guère.
Depuis quelques années, ce paysage s’est banalisé et les villes tunisiennes ne sont plus belles et propres comme elles l’étaient.
Si le quartier des affaires des Berges du Lac reste approximativement propre, une partie de la banlieue nord (Carthage et Sidi Bou Said), La Goulette, le Kram et même la Marsa offrent parfois une image déformée. Pourtant, cette banlieue a été, tout le temps, un défouloir pour les Tunisiens à la recherche d’espaces de loisirs et de farniente et un bel exemple d’aménagement bien conçu et d’intégration des habitants dans leur milieu.
Quant à la banlieue sud de la capitale qui, ne cesse de s’agrandir et de s’allonger tout au long d’un littoral devenu presque impropre à la baignade l’été, elle continue de perdre son lustre d’antan. La mer polluée par le déversement anarchique des eaux usées, le mobilier urbain dégradé, la qualité de l’air détériorée, par la présence intensive d’activités polluantes, et les défaillances notoires dans le système de ramassage et de traitement des déchets ménagers et industriels sont le lot quotidien de cette région.
Les autres quartiers périphériques de la capitale ne sont pas mieux lotis. Laissés presque à l’abandon, faute de moyens et, surtout, de volonté, ils ont tendance à se transformer en une sorte de dépotoir à ciel ouvert. La sortie sud de la capitale, où le chantier du RFR (réseau ferroviaire rapide) n’en finit pas de s’allonger et le supplice des habitants aussi, en est un exemple édifiant.
Le drame c’est que municipalité et habitants acceptent le fait accompli et le paysage désolant a fini par leur être coutumier.
Djerba suffoque !
Plus grave, l’île de Djerba (sud tunisien) qui a été tout le temps une vitrine du tourisme tunisien et de la bonne adéquation entre modernité et tradition, choix urbanistiques et propreté du milieu, n’échappe pas à ce triste sort. Ce milieu très fragile supporte mal l’absence de solutions durables et réfléchies au sujet de la question épineuse de la gestion des déchets.
Pourtant, Djerba, devrait accueillir les 20 et 21 novembre prochain le 18è sommet de la Francophonie. Pour ne pas rater le coche, les services des deux ministères du Tourisme et de l’Environnement se sont d’ores et déjà engagés à apporter un soutien exceptionnel aux municipalités de l’île de Djerba (gouvernorat de Médenine) afin de donner aux représentants des 54 pays membres une image au moins conforme à celle que cette île des Lotophages a toujours véhiculée.
Y réussiront-ils ? Il faut espérer et prier pour toutes les villes tunisiennes.
Fausses promesses ?
Manifestement, les nouvelles équipes municipales, élues depuis 2018, sur la base de grandes promesses et d’un code des collectivités locales qui leur accorde des pouvoirs étendus, n’ont pas réussi à changer la donne et à concilier les citoyens avec leurs villes.
Ils sont vite allés en besogne se rendant compte du caractère ardu de la tâche à laquelle ils étaient mal ou peu préparés. La situation financière difficile des municipalités se présente comme une circonstance atténuante, mais elle n’explique pas tout.
L’endettement surabondant
Dans son dernier rapport, publié en fin 2020, la Haute Instance des Finances Locales (HIFL) a mis en exergue l’endettement excessif des municipalités, qui doivent la poursuite de leurs activités et la mise en route de certains de leurs projets aux appuis budgétaires accordés par les pouvoirs publics.
L’endettement est un phénomène étroitement lié à la faible gouvernance locale et à l’inadéquation entre les ressources et les charges supportées.
Le montant de la dette atteint 93 millions de dinars (1 euro = 3,28 dinars) en fin 2018 sachant que l’Etat a dû payer 145 MD des dettes des 64 communes les plus démunies, dans le cadre du programme de développement régional, financé par la Banque Africaine de Développement (BAD).
L’autre indicateur de la faiblesse financière dont souffrent les municipalités se perçoit à travers le niveau particulièrement réduit de leur indicateur d’autonomie financière qui se situe à 38,8 % seulement.
De surcroît, 70% des ressources budgétaires des 127 municipalités du pays sont absorbées par les salaires. Il reste des broutilles aux dépenses liées aux investissements s’agissant particulièrement des projets culturels et de divertissements, qui restent, faute de moyens, les parents pauvres de l’action municipale.
La police de l’environnement, corps mis en place depuis l’année 2017 et dédié principalement à la protection de l’environnement, n’a pas réussi, jusqu’à présent, à endiguer le phénomène.
Ce corps de police semble ne pas pouvoir s’acquitter au mieux des missions qui lui sont confiées en l’occurrence la préservation de l’environnement et veille au respect des principes d’hygiène et de santé dans les espaces publics et même dans les locaux commerciaux.
Le citoyen, entre rupture et conciliation
Que faire pour concilier le citoyen avec sa ville, lui permettre de s’approprier l’espace public et vivre en harmonie dans son milieu ?
Comment rendre les villes tunisiennes plus accueillantes et un facteur d’intégration et de bien-être pour les citoyens ?
Quelles actions pourrait-on entreprendre pour rendre ces villes, comme elles étaient dans un passé récent, plus belles, propres et où il fait bon vivre ?
Face à une situation pour le moins déconcertante, à l’impuissance des municipalités, à l’absence d’un esprit citoyen capable d’être un catalyseur de transformation et d’amélioration du cadre de la vie, il est des initiatives citoyennes qui ont commencé à éclore.
Des initiatives qui restent encore dispersées mais qui traduisent une certaine prise de conscience pour arrêter les dégâts et freiner, un tant soit peu, la détérioration des conditions d’hygiène et de salubrité dans les villes et les cités.
Une Tunisie sans déchets ?
Créé en décembre 2020, le collectif «Zéro Déchet Tunisie» monte au créneau et se déploie pour la préservation de l’environnement et l’amélioration de la qualité de la vie, à travers la promotion de l’objectif «Zéro Déchet» dans le pays.
Ce combat particulier mobilise aujourd’hui citoyens, scientifiques, personnalités publiques, associations et startup.
D’ailleurs, le collectif «Zéro Déchet Tunisie» comptait lancer, le 18 mars 2021, à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale du recyclage, une campagne nationale baptisée «Tunisie sans déchets» à l’effet de promouvoir une approche intégrée et durable de gestion des déchets en
Tunisie.
Depuis sa création, pas moins de 13 organisations, outre un ensemble de citoyens, de personnalités publiques, de scientifiques et de startup, ont adhéré à ce collectif, qui défend les intérêts des citoyens, des consommateurs et des usagers dans les domaines de l’environnement, de la gestion des déchets et du cadre
de vie.
Cette action citoyenne, quoique sporadique, a été remarquée en 2020 quand des jeunes ont lancé sur les réseaux sociaux une campagne spontanée portant le slogan «Nettoie ton pays» mobilisant de milliers de personnes dans les différentes régions du pays.
D’autres ONG s’activent pour l’interdiction des sacs en plastique, la protection de la mer et de l’eau contre la pollution.
Toutes ces initiatives citoyennes, salutaires, traduisent un réel souci pour la protection du milieu et une meilleure intégration de l’habitant dans sa cité.
Mais, cet effort exige du souffle et de la persévérance pour produire l’effet escompté: une persévérance pour réintégrer cette notion dans le comportement des personnes et du souffle pour combler les lacunes en matière de gouvernance locale de ces dossiers qui conditionnent une vie de qualité dans des villes où il fait bon vivre.