
Le dernier roman de Tahar Ben Jelloun, «Le Miel et l’amertume» (éditions Gallimard), nous plonge dans la noirceur humaine à travers l’histoire de Mourad et Malika, un couple qui s’entredéchire après la mort tragique de leur fille Samia.
Le roman aborde le problème de la pédophilie au Maroc, qui est encore un tabou, à travers l’histoire de Samia qui, à 16 ans, se fait violer par un pédophile qui abuse, en toute impunité, de jeunes filles en leur faisant miroiter la publication de leurs poèmes dans son journal.
Incapable de se confier à ses parents, Samia consigne son malheur dans son journal intime, et décide de se suicider.
Samia est l’absente-présente de ce roman; bien qu’elle soit décédée, elle est omniprésente au fil des pages à travers le journal intime qu’elle a laissé derrière elle et où elle a consigné toute son histoire.
Dans ce Roman, Tahar Ben Jelloun a fait le choix d’un récit choral, qui alterne les témoignages du père, de la mère, des frères et des proches à propos de la mort tragique de Samia.
Les personnages sont tous marqué par le suicide de Samia qu’ils appellent «tragédie». Mourad et Malika, les parents, n’arrivent pas à dépasser leur malheur. Ils se rendent mutuellement responsables de ce drame.
Incapables de vivre et de supporter ce drame à deux, Mourad, le père, et Malika, la maman, n’arrivent pas à concevoir qu’ils sont pareils face à leur malheur, chacun voulant faire endosser à l’autre la responsabilité de la fin tragique de leur fille.
Quant aux frères, ils sont pris dans leur vie, l’un à l’étranger et l’autre resté au Maroc.
L’auteur décrit l’impossible communication et la culpabilité partagée des parents qui ont sombré dans une vieillesse pitoyable et misérable dans «le sous-sol tombeau» de leur maison.
Mais dans ce tête-à tête tragique surgit un jeune immigré africain, Viad, le seul personnage lumineux de ce roman sombre. Il va rencontrer ce couple moribond et l’aider à panser ses blessures de l’âme, à surmonter enfin la douleur de la perte d’un être cher et à se défaire de la culpabilité.
Le pauvre n’est pas celui qu’on croit. Et le miel peut alors venir adoucir l’amertume de ceux qui ont été floués par le destin.
Comme à l’accoutumée, ce dernier roman qui se base sur une histoire vraie survenue au Maroc, participe au travail que fait Tahar Ben Jelloun sur la société marocaine et sur ses maux.
L’amertume de plusieurs vies
A travers l’arme subtile de la littérature, l’auteur, membre de l’Académie Goncourt, lève le voile sur un phénomène tabou dans la majorité des sociétés y compris marocaine celui de la pédocriminalité.
Ce roman, où l’amertume domine (l’amertume de plusieurs vies gâchées, détruites, enchaînées à la haine de l’autre), n’est pas seulement le récit d’une vie gâchée.
C’est aussi le procès de différents traits de la société marocaine: la corruption, d’ailleurs largement évoquée dans le livre, la difficulté des couples face aux mariages arrangés, l’absence de dialogue, l’hypocrisie sociétale…
Grâce à une écriture simple mais combien poignante, Tahar ben Jelloun se fait le porte-voix de toutes les victimes des pédocriminels, dans une société marocaine encore marquée par la tradition, la honte, la corruption.
L’auteur, qui avait déjà évoqué ces thèmes de harcèlement et de pédophilie dans «la philo expliquée aux enfants», juge essentiel que l’on sorte du silence, de l’omerta sur un phénomène universel, pour éviter des drames semblables à celui de Samia, Dieu seul sait combien ils sont nombreux.
Bref, c’est un livre qui fait partie de ceux qui font avancer les choses. A lire absolument!