
En Mauritanie, la ville de Kaédi située sur la rive droite de la vallée du fleuve Sénégal (430 kilomètres au Sud/Est de Nouakchott) est l’épicentre de la pratique séculaire de la teinture, qui a fini par s’installer à Nouakchott, du fait du statut de la capitale en tant que véritable pont humain et économique.
Jadis, ce métier était exclusivement réservé aux femmes, mais aujourd’hui, à travers une pratique quotidienne sur plusieurs dizaines d’années, ces dames commencent à employer des hommes pour les assister dans de multiples tâches, après avoir acquis une expertise avérée et largement certifiée.
Sur un plan plus vaste, on peut noter que la teinture, dans ses différentes composantes, est un art typiquement ouest africain dont la place forte est le Mali.
Ce grand nom de l’histoire désigne un État de la sous-région frontalière de sept pays à savoir l’Algérie, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal.
Une position géographique qui favorise une large diffusion de la culture et de la pratique de l’art de la teinture du batik.
Dans ce pays, la technique de la teinture a de multiples secrets avec des arabesques et des attaches désignées sous plusieurs noms «Ticafarani, Malofarani, City, Poti-Poti», qui permettent de donner au bazin tous ses éclats.
Des couleurs vives aux éclats dont certains attribuent une grande partie à la qualité des eaux douces du Djoliba (nom traditionnel du fleuve Niger) qui traverse les villes les plus importantes du Mali, notamment la capitale Bamako. Une thèse qui reste encore à prouver sur le plan scientifique et technique.
Plongée dans l’univers des spécialistes de Nouakchott
A l’origine, la pratique de la teinture est un art héréditaire, transmis à travers la chaîne des générations, avec au dernier échelon de la mère à la fille.
Cependant, il existe des cas de génération spontanée, c’est-à-dire des dames qui commencent à faire ce travail sans avoir acquis cette science auprès de leurs ascendantes.
Thilla Tandia, héritière de Salamata Diagana, femmes aux doigts de fée
Originaire de Kaédi, mais née à Nouakchott, elle est domiciliée à la Sebkha, une commune de la populeuse banlieue Sud/Ouest de la capitale mauritanienne.
Cette dame, une des plus grandes teinturières de Nouakchott actuellement, est l’héritière de Salama Diagana, un nom lié aux couleurs vives du bazin à Nouakchott pendant plusieurs dizaines d’années, décédée en 2012.
Après avoir été dans une bonne école depuis la tendre enfance, la mère prenant l’âge, Thilla reprit le flambeau. Elle raconte son histoire et son parcours à travers un récit qui renvoie l’idée d’un véritable héritage, une affaire de famille.
«J’ai toujours observé les moindres faits et gestes de ma défunte mère depuis la plus tendre enfance», raconte-t-elle, ajoutant qu’au départ, c’était juste un jeu, mais l’exercice est devenu une profession à partir de 1998».
«Ma mère est décédée en 2012, mais elle avait arrêté le travail plusieurs années auparavant, c’est-à-dire à partir de 1998. J’ai repris le flambeau depuis», poursuit-elle.
Décrivant l’opération dont le résultat donne des couleurs vives aux milles éclats, la dame affirme qu’il faut d’abord attacher les tissus, former les dessins et les couleurs sur le bazin, ou parfois sur des toiles plus légères.
Les différents ingrédients donnant la coloration sont des produits importés d’Europe (Belgique, Hollande), mais aussi de Chine. Ils sont mélangés à deux produits: la soude caustique en poudre, et la soude caustique sous forme de coquillage, qui renforce l’éclat des couleurs.
Ce travail porte sur les vêtements féminins et masculins, avec une tendance plus accentuée chez les femmes et les jeunes filles.
Abordant, enfin le volet commercial, la teinturière signale que nombre des commandes augmente à l’occasion des fêtes musulmanes (Korité, Tabaski, Maouloud). Ces repères indiquent ainsi la période des bonnes affaires pour les teinturières aux doigts de fée.
Fatoumata NDiaye, sur le pré depuis 1966
Originaire des environs de Boghé (310 km au Sud/Est de Nouakchott), Fatoumata NDiaye, non héritière du métier, a débuté dans la teinture en 1966.
Elle parle des conditions de travail et des différentes périodes. Domiciliée au centre de la capitale, cette dame d’un âge avancé dispose d’un local spécialement réservé à l’activité de la teinture situé dans la commune d’El Mina, autre banlieue de la capitale mauritanienne.
Elle emploie une dizaine d’hommes chargés de la mise en état des vêtements teints, mais aussi une fille issue de sa famille, qui fait office d’assistante, chargée du suivi des commandes et des livraisons.
Sans cachoterie, la dame affirme: «je rends un vibrant hommage à une profession qui m’a tout donné dans la vie, notamment de quoi entretenir ma famille, quelques propriétés immobilières et un voyage à la Mecque». Hawa NDiaye, présidente du réseau «Arc-En Ciel», un collectif regroupant 63 associations féminines, dont la plus part évolue dans le business de la teinture, est également originaire de Kaédi (vallée du fleuve).
Secrétaire à la Société Nationale de Développement Rurale (SONADER/Publique), elle a tout plaqué en 2000, venant ainsi grossir les rangs des dames issues de la génération spontanée de la teinture et du batik. Très active dans le mouvement associatif, elle travaille sur le terrain, tout en faisant le tour des foires commerciales et expositions consacrées aux produits ayant fait l’objet de teinture au niveau national et à l’étranger.