
La photographie est un art arrivé sur le continent africain grâce aux missionnaires et aux colons, quelques temps après son invention sur le continent européen vers les années 1880. Et depuis cette période-là, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.
Ainsi, des générations de photographes, le plus souvent inconnus au-delà des frontières de leurs villes, ont donné à cet art ses lettres de noblesse, en dépit du caractère aléatoire des archives publiques et privées, peu nombreuses, en dehors de rares familles détenant quelques tirages.
C’est pourtant dans ce cadre largement informel, que les petites, moyennes et grandes villes d’Afrique ont abrité des fratries ayant creusé des sillons indélébiles dans l’animation et la vie de l’art de la photo.
Des pionniers qui ont associé leurs patronymes à cette forme d’image et gravé la pratique dans la mémoire collective des citoyens de la cité dans laquelle ils ont exercé leur art et construit une belle carrière entretenant des milliers de familles.
L’histoire de la photo en Mauritanie répond en tous points au parcours général ainsi décrit.
L’implantation des premiers studios de Nouakchott, ville née avec l’indépendance, date du début des années 1960.
Sous l’effet d’une évolution rapide, cet outil devient un endroit à fonctions multiples qui sert de siège à une entreprise (lieu de travail), offre l’espace pour prendre les photos et assure la postproduction, abrite une cabine de maquillage, une salle d’exposition….
Les professionnels de la photo, nostalgiques de la belle époque, rappellent les moments pendant lesquels les recettes étaient abondantes: les grandes cérémonies familiales (mariages, baptême…), les fêtes marquant la fin du mois de ramadan, la tabaski…. représentaient de véritables niches pour affaires en or.
Mais, aujourd’hui, le paradigme de la pratique de l’art et du métier de la photographie a fondamentalement changé, avec l’explosion du numérique, poussant à l’usage du smartphone pour immortaliser les moments clés de la vie grâce à la photo et à moindre coût.
Mutation désastreuse
Une nouvelle donne dont la conséquence est une chute drastique des revenus des photographes. L’activité est désormais réduite à sa plus simple expression, selon les témoignages concordants des professionnels de cet art.
Yaya Dia, propriétaire d’un studio implanté dans la populeuse commune d’El Mina (Nouakchott/Sud) déplore «l’explosion du numérique à travers le smartphone, qui est une véritable catastrophe qui fait chuter nos revenus de manière drastique».
«Photographe depuis 22 ans, je ne veux pas avancer de chiffres, mais la crise de la photo dans les studios est une réalité que nous vivons au quotidien», révèle-t-elle avec amertume.
Témoignage identique de la part de Moussa Camara: «Je pratique ce métier depuis le début des années 2000. Mais avec l’avènement de la photo numérique grâce au téléphone, la crise a atteint un niveau qui m’oblige à fermer mon studio. Je réponds à des sollicitations de plus rares en travaillant à la maison». «Dans le passé, les cérémonies de mariage ouvraient des commandes à hauteur de 400 à 500 photos. Aujourd’hui, la recette sèche, se limite à l’album des mariés», regrette-t-il.
La suite de l’histoire reste sur le même tempo avec Touré Abdoulaye, qui exerce cette profession depuis 1996.
Selon lui, «l’évolution du travail me contraint aujourd’hui à faire un break, observer un repli, à cause de l’explosion de la photo numérique dont le support est le téléphone portable».
«Avant, je gagnais beaucoup d’argent à l’occasion des cérémonies familiales (mariages et baptêmes) et des fêtes. La photo marchait bien du temps de l’analogique. Les gens faisaient la queue dans mon studio. Les recettes étaient très bonnes. Mais là, elles se sont complètement asséchées avec l’arrivée du numérique», dit-il.
Quant à Baidy Kanté, il continue de faire face à la bourrasque du cellulaire, avec un studio implanté au centre ville de Nouakchott. Ce professionnel de la photo raconte son parcours sur un ton quelque peu désabusé: «J’ai commencé la photo en 1981 à Atar (Nord). C’est à partir de 1992 que je me suis installé à Nouakchott en ouvrant un studio. A l’époque, on s’en sortait bien. Nous arrivions à trouver des recettes mensuelles à hauteur de 500.000 anciennes ouguiyas, grâce aux fêtes et aux cérémonies familiales. Le numérique est venu tout anéantir». «Nos maigres recettes proviennent désormais des photos minute ou de quelques rares albums pour mariage», nous confie-t-il.
Djibi Diallo, retraité de l’Agence Mauritanienne d’Information (AMI/organe du gouvernement), apparaît comme un véritable patriarche dans le domaine de la photo.
Cet homme connaît l’évolution du milieu dans lequel il a débuté en 1959: «J’ai d’abord travaillé dans le privé. Une époque pendant laquelle j’ai fondé en 1967, une structure dénommée Studio du Peuple. Celui-ci était implanté au quartier de la Médina 3, dans la commune de Tevragh-Zeina. C’est un peu plus tard que j’ai commencé à travailler pour le compte de la Société Mauritanienne de Presse (SMP), qu’on peut considérer comme l’ancêtre de l’actuelle Agence Mauritanienne d’Information, au terme d’un parcours marqué par une série de transformation/fusion/réorganisation». «Après ma retraite, j’ai repris l’activité dans le privé. L’analogique, avec les produits Kodak nous permettait de gagner beaucoup d’argent», indique-t-il. «Le numérique à travers la photo du téléphone portable, nous est tombé dessus comme une véritable bombe atomique, dont le souffle irrésistible a anéanti tous nos revenus», se lamente-t-il.