Le ruissèlement culturel

Par Khalil Hachimi Idrissi

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C’est drôle que Eugène Delacroix revienne au Maroc près de 200 ans après son premier voyage. Mehdi Qotbi, le président de la Fondation nationale des musées, avait les yeux qui brillaient quand il a annoncé cet évènement: «Delacroix, souvenirs d’un voyage au Maroc» du 7 juillet au 9 octobre 2021 au Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain à Rabat.

Avec une voix un peu étranglée par l’émotion, il décrivait les mille et une péripéties qui ont marqué son parcours pour réussir cette prouesse.

Avoir l’accord du Musée du Louvre, du Musée national Eugène-Delacroix est véritablement une gageure et une première sur le continent africain et dans le monde arabe.

L’exposition exceptionnelle est présentée avec beaucoup d’enthousiasme par ses promoteurs. «Delacroix, souvenirs d’un voyage au Maroc retrace le voyage du peintre à travers des tableaux, des dessins, des aquarelles mais également la quasi-totalité des objets, des vêtements, des armes et des instruments de musique qu’il a rapportés de son voyage et qui l’ont accompagné durant toute sa carrière d’artiste.

Il est ainsi le premier ambassadeur de la lumière et des couleurs marocaines qui l’envoûtent, des costumes et des traditions qu’il dessine et peint avec émerveillement, notant que dès son retour en France, et jusqu’à sa mort, l’artiste ne cesse de reproduire dans ses œuvres les nombreuses influences rapportées de son voyage». Voilà, le pitch est fait.

On peut questionner donc cet évènement avec plus de tranquillité. Peut-on fonder aujourd’hui une vraie coopération culturelle avec les Européens sur la base de la possibilité de donner à voir aux Maghrébins des œuvres inspirées par nos territoires ? Une question simple mais dont la mise en œuvre s’apparente aux douze travaux d’Hercule.

Les nôtres ont le droit légitime de voir ces œuvres. Nos Etats ont la responsabilité d’implémenter des politiques culturelles qui permettent à ces œuvres d’être accueillies c’est-à-dire emballées, transportées, assurées, exposées etc. dans des conditions professionnelles. Rien n’est moins sûr. Et nous, médias en général, nous avons l’obligation d’accompagner ce grand mouvement culturel en donnant envie aux gens d’aller au musée quand le musée existe. Et surtout d’encourager les musées à ouvrir leurs portes au plus grand nombre.

Combien de musées d’art contemporain sont créés au Maghreb par an ? Toutes les grandes villes maghrébines sont-elles pourvues de ce type d’équipement culturel? Peut-il y avoir une grande politique du tourisme dans un pays sans une vraie offre muséale notamment en Art moderne et contemporain ?  

L’on voit bien que les questions sont nombreuses et complexes. Dans le monde de la culture, il y a toujours un intelligent ou un pertinent qui vous ramène à la base de la pyramide de Maslow. En gros, il dit que nous n’avons pas atteint le niveau de développement requis pour parler « Culture ». Que c’est trop pour nous. Il nous renvoie vers les besoins basiques : santé, éducation, justice, administration etc. C’est vrai, mais l’un n’exclut pas l’autre. La culture est un des leviers incontournables du développement. Sa condition sine qua non. C’est le moteur même du développement des territoires et de la création de richesses pour les communautés. 

Qui peut évaluer exactement ce qu’a apporté le Musée Guggenheim à Bilbao ? L’image de la ville — autrefois une aride localité basque — est insécable de celle du Musée. Une image moderne, joviale, ouverte et cosmopolite. Le Musée Guggenheim est au centre d’une dynamique urbaine qui a généré des commerces, des restaurants, des hôtels, des cinémas, et bien évidemment beaucoup d’emplois pour cette ville. La théorie parfois improbable du ruissèlement des richesses marche très bien dans cette expérience basque. Pourquoi pas chez nous ?