
Un récit à conseiller à partager et à découvrir résolument sinon absolument celui de Leïla Slimani, intitulé «Le Parfum des fleurs la nuit ( 2021.Ed. Stock)», tant il constitue une invite introspective de l’acte - ici précisément celui...d’écrire.
Que du plaisir serait-on patenté de dire! Un régal intimiste, auquel nous convie une Leïla Slimani, profonde et sans concession en cette plongée intime, à savoir, passer une nuit entière, seule, dans un musée à Venise, livrée à soi-même sans préparation ni conseil particulier. Ainsi, notre auteure - Prix Goncourt 2016 - saisit cette opportunité quant à transformer un livre de commande en plaidoyer permanent pour la littérature et la liberté d’être soi-même, sans manquer de nous dévoiler avec tact et sans artifice, sa part d’être la plus profonde et assurément des plus fécondes.
A la demande de son éditrice, la romancière Leïla Slimani accepte de passer une nuit, entière enfermée dans un musée vénitien, celui de «La Punta della Dogana («La Pointe de la Douane»), plus que pour l’art, elle est séduite par l’idée de pouvoir, pour une nuit, se réfugier là où personne ne pourra l’atteindre. Sinon plus surtout éteindre la flamme de ses éclairantes confidences ici et là comme surgies dans l’intimité de cette randonnée noctambule et dans un environnement muséal autant inspirant que pénétrant .
Au départ, à Leïla de s’interroger «Mais dans quel piège suis-je encore allée me fourrer? Pourquoi ai-je accepté d’écrire ce texte alors que je suis intimement convaincue que l’écriture doit répondre à une nécessité? A une obsession intime? A une urgence intérieure?» nous confie-t-elle.
En y pensant bien, Leïla a très bien fait de s’enfermer au musée. Cette expérience nocturne sera propice quant à faire surgir des souvenirs de son enfance, notamment ceux de son père et de son métier d’écrivain qu’elle pensait inaccessibles, engloutis en les méandres de son être: ce qui nous fit dire que «c’était là un mal pour un bien!». L’écriture a un pouvoir magique, «celui de traverser les murs avec facilité».
Ce récit qui ne venait pas d’une nécessité est devenu le texte - et aussi le prétexte - le plus intime, le plus personnel et introspectif qui en bout de course - et de mise en épreuve «d’écriture commandée», - révèle l’écrivaine, dans un entretien sur France culture.
Les aléas de l’écriture
Leïla Slimani commence son récit par nous dire que l’écriture «a des exigences et des règles à suivre (...), on n’a rien sans rien, si on ne se met pas la misère à l’entraînement! Si on ne se force pas à repousser les limites, on ne peut aller nulle part! Plus qu’un métier, être écrivain est souvent une vocation (...)» Mais ce n’est pas un don inné» lance-t-elle, «car devenir écrivain, écrire un roman est réellement fastidieux et intense, et requiert une discipline de fer.
Et d’insister de façon on ne peut plus claire «(que) La première règle quand on veut écrire un roman?..c’est de dire non: Non! je ne viendrai pas boire un verre! Non je ne peux pas garder mon neveu malade! Non, je ne suis pas disponible pour déjeuner! Non pour une interview! Ou une promenade (...) il faut dire non si souvent que les propositions finissent par se raréfier, que le téléphone ne sonne plus!…».
En somme, il faudra assumer toutes ces contrariétés et autres retours de manivelles. Beaucoup plus facile à dire qu’à faire et à accepter? Certainement!
«Dire non et s’en tenir! Voilà le leitmotiv! Quitte à passer pour un misanthrope (..) pour un être arrogant, maladivement solitaire»! Autrement dit, il faut dresser autour de soi des murs et frontières «contre lesquels toutes les sollicitations viendront se fracasser.» Et de lancer, comme pour s’en référer «c’est ce que m’avait dit mon éditeur quand j’avais commencé à écrire des romans…..»
Tout ramène Leïla à son père...
«Seule et pieds nus» dans ce musée, elle se livre entièrement à des confidences tantôt spontanées et instinctives tantôt volontaires et raisonnées.
Au gré de ses souvenirs, de ses propres réflexions et sensations du moment. Ses confidences s’égrènent doucement, notamment celles sur son père qui lui a donné le goût de la lecture et du cinéma. Un père puissant, condamné puis jeté en prison et de se confier encore, «bien sûr que je pense à lui. À mon père. Tout ici me ramène à lui (…) Mes souvenirs pour mon père sont toujours les mêmes. Mais souvent», s’accorde-t-elle à dire dans ces confidentes pages «qu’il faudrait le remercier d’être mort». Et de préciser, «(que) sa disparition a ouvert sans doute des voies qu’elle n’aurait sinon jamais osé emprunter de son vivant, faisant allusion à son métier d’écrivaine .
Pour rappel, le père de la romancière «a été accusé, emprisonné puis, tardivement, innocenté» dans un scandale politico-financier au Maroc. Une injustice qui a conduit Leïla Slimani à devenir écrivaine, comme pour (pouvoir ainsi) réparer le réel ou redresser un tort lourd à supporter.
Et de préciser «J’inventais des mondes dans lesquels les injustices étaient réparées (...) où les personnages étaient vus pour ce qu’ils étaient vus et n’étaient pas prisonniers de l’image que la foule s’en faisait». Cependant en son for intérieur, elle est persuadée que «l’écriture ne soulage pas et ne guérit pas ses plaies (...) et que ses romans ne viendront pas à bout du sentiment d’injustice qu’elle aura vécu ou subi!» Au contraire, un écrivain est maladivement attaché à ses peines, à ses cauchemars «(et) Rien ne serait plus terrible que d’en été guéri!»: Ou comme quoi, à quelque chose malheur est bon?!
Nous ne pouvons pas séparer l’œuvre littéraire «Le parfum des fleurs la nuit» de la personne de son auteure, Leïla Slimani.
Il s’agit-là d’une œuvre autobiographique où chaque ligne de son récit était profondément ressenti et vécu, transcrit et transmis tel quel, en un aparté conscient et confident au bout..de «ce conte», confié à notre bonne lecture ou à notre bienveillante écoute
Les sentiments de l’auteure relevés, les détails les plus intimes de sa vie, les démons comme les remous qui l’auront assaillie, renversée ou traversée, ses crises intérieures, ses chutes et ses rechutes, ses angoisses et ses rêves sont là, sortis comme par enchantement en un enchaînement dont Leïla Slimani semble en avoir le secret de ses forces et de ses attraits, qu’elle aura su convoquer comme pour les besoins d’un autoportrait sans concession de sa personne toute de sensibilité, de secrets espoirs de dépasser ses peines, de calmer ses douleurs et de panser ses plaies qui l’auront marquée et blessée.
Tout l’être de Leïla, «un être inquiet, qui a tout le temps peur», nous confie-t-elle en reconnaissant sans détour «(que) j’ai peur des hommes qui pourraient me suivre. Les joggeurs qui me font sursauter. Je me tourne souvent quand j’entends des pas derrière moi. Et si je reste cloitrée, si j’évite le dehors, c’est peut-être moins pour écrire qu’à cause de ma terreur»

Leïla explique cette peur obsessionnelle par le fait qu’elle fut élevée par une mère inquiète dont le mot d’ordre était: «Attention!»
En somme, «une mère qui voyait le risque partout: Celui de tomber, de se faire mal, d’attraper la mort. A l’époque, je lui en voulais d’être si angoissée! J’avais le sentiment qu’elle m’empêchait de vivre!» Lâche-t-elle tout en reconnaissant...
‘(que) bizarrement, «elle aime être enfermée dans le noir d’une salle de cinéma, dans des bibliothèques, dans des librairies, dans les petits musées du quartier, où l’on va moins pour la qualité de l’exposition que pour trouver un lieu où se réchauffer».
A ce propos, Leïla considère le musée «comme une émanation de la culture occidentale, un espace élitiste dont elle n’a toujours pas saisi les codes!». Lors de son enfermement dans le musée, elle n’a prêté aucun intérêt digne de ce nom aux œuvres artistiques, et de préciser cela en expliquant cette indifférence par le fait qu’elle soit écrivain - et que tout livre est synonyme «d’un combat, d’un temps long, même si la simplicité de certaines œuvres me désarçonne!» lance-t-elle sans ambages.
En tout cas, le récit de ce livre érudit et généreux est beaucoup plus qu’un simple récit d’une vie, il est tout autant une réflexion sur la relation entre l’art contemporain et le spectateur. comme l’a résumé le peintre plasticien Marcel Duchamp, dont elle reprend, pour les besoins de sa cause ici présentée et défendue, une de ses citations qu’elle rapporte dans son roman pour débattre de cette thèse: «C’est le regardeur qui fait l’œuvre d’art. Si on le suit, ce n’est pas l’œuvre qui n’est pas bonne ni intéressante. C’est le regardeur qui ne sait pas regarder».
Et Marcel Duchamp d’insister en précisant que «L’artiste seul ne suffit pas à créer une œuvre d’art, celle-ci nécessite la présence d’un spectateur», explique-t-il. (...) L’artiste aime bien croire qu’il est complètement conscient de ce qu’il fait, pourquoi il le fait, comment il le fait et la valeur intrinsèque de son œuvre (...) Le regard du spectateur est à la base du succès de l’œuvre, il fait son succès ou non, mais pas sa réussite. Sa réussite a commencé au moment même où l’artiste a su qu’il était différent et a su qu’il allait créer. C’est donc le travail de l’artiste, et sa différence qui font l’œuvre d’art!»
L’art est en effet conçu par l’artiste, mais aussi par le spectateur, qui grâce à sa perception unique donne à l’œuvre un caractère qui est toujours à redécouvrir. Le public justifie en partie l’art, le fait exister et lui confère son sens (...) l’œuvre d’art est produite pour être contemplée.
L’artiste - ou l’auteur - y concourt et le spectateur - le lecteur ou le public - y savoure l’œuvre, avec ses propres ou communs degrés ou niveaux de compréhension ou de lecture, consciemment ou pas, consciencieusement ou pas, la préserve ou la saborde!
La balade ainsi opérée s’en trouve être enrichie par l’ensemble de toutes ces confidences et par ces intrusions permises dont tout lecteur - à son corps défendant,- en serait l’acteur- ou l’insondable auteur. Et l’on y prend plaisir à s’y laisser piéger et inviter.