Bahri Ben Yahmed: «Hip Hop, une danse de résistance»

Par Imane Brougi
Bahri Ben Yahmed, danseur tunisien DR
Bahri Ben Yahmed, danseur tunisien DR

Danser pour lutter contre l’oppression, promouvoir  les valeurs de tolérance et de liberté, ou tout simplement pour exister: telle est la devise prônée par Bahri Ben Yahmed, danseur, chorégraphe et cinéaste tunisien.  

A travers sa danse de Hip Hop, porteuse de messages forts de contestation, qui associe une gestuelle brute et virtuose à une écriture chorégraphique à la fois géométrique, déstructurée et rebelle, Bahri va contribuer à côté d’un collectif d’artistes tunisiens, à développer un mouvement de revendication culturelle. C’est avec ce mouvement que la communauté va prendre conscience de la portée sociale et politique du Hip-Hop, qui représente une réappropriation de la parole, de la pensée et même des rues par la danse.

Optimiste et engagé à fond pour faire entendre haut la voix des artistes tunisiens, Bahri continue sa lutte acharnée en faveur de l’art et l’émancipation, en encadrant les jeunes artistes et en les préparant à poursuivre le combat pour des droits dignes de leurs efforts et talents.

Dans cet entretien accordé à Maghreb1, Bahri Ben Yahmed, ce passionné du Hip Hop, qui a fait de la danse sa vocation, son parcours et sa vie, nous livre son témoignage sur la scène  urbaine tunisienne, tiraillée entre défis et espoir d’un avenir meilleur.  

 

Maghreb1: La Tunisie a été l’un des pays précurseurs dans le monde arabe en matière de danse moderne, mais avec les chamboulements qui ont touché le pays surtout le déclenchement de la révolution du Jasmin, de grands changements ont été opérés, quel regard portez-vous sur la scène tunisienne actuelle? Qu’est-ce qui a changé entre hier et aujourd’hui?

 

Bahri Ben Yahmed: Pour commencer il faut dire que la pratique de danse moderne en Tunisie est restée une affaire personnelle liée aux perspectives des danseurs en matière de formation et de carrière depuis les années 80. La danse moderne est restée attachée aux disciplines sportives jusqu’au 1992 avec la création du ballet national tunisien sous la direction du ministère de la culture. En 1996 ce ballet a été dissous à cause des problèmes de statut. Et jusqu’à aujourd’hui la danse n’est pas reconnue comme un art à part entière elle est toujours rattachée à la musique.

Après les évènements de 2011, les danseurs ont manifesté par tous les moyens pour l’obtention de leurs droits, notamment le droit à un statut et le droit d’accès au marché et la professionnalisation du secteur. C’est dans cette perspective que l’association «Art Solution» a vu le jour. Sa mission principale était de promouvoir la culture urbaine tunisienne et en faciliter l’accès à un large public.

Mais en vain, le secteur de la danse est resté contrôlé par un monopole privé qui bloque l’accès aux changements espérés. Ceci dit, que l’association a travaillé dur pour faire entendre les réclamations des danseurs en même temps qu’elle s’est investie dans la formation et la  promotion des créations à travers la coopération internationale.

Aujourd’hui les mêmes problématiques de statut, de formation et de subventions entravent l’expansion de la discipline même avec la création d’un pôle chorégraphique en 2018 qui centralise les activités de la danse mais qui ne résout en aucun cas les problèmes essentiels du secteur en matière de statut.

 

Selon vous, comment la danse de Hip-hop peut-être une arme de résistance contre l’oppression?

 

Depuis 2011, la résistance en Tunisie a pris plusieurs formes. Nous danseurs de Hip Hop avons constaté que la seule manière d’être visible et de faire entendre notre voix est de faire sortir la danse des studios et des salles d’entraînement vers l’espace publique. Le danger premier était la confiscation de l’espace public par le nouveau régime. Nous avons multiplié nos actions dans les rues de Tunis et les régions reculés, à travers plusieurs initiatives la plus marquante était celle de «Je danserai malgré tout».

Cette forme de résistance a été saluée par les Tunisiens et le monde entier à travers les réseaux sociaux et la presse écrite. Plusieurs articles sont parus sur le phénomène des «danseurs citoyens».

 

Après ce chemin parcouru, quelle est la cause qui vous tient le plus à cœur?

 

Aujourd’hui le paysage politique et culturel a rapidement muté mais sans aucune évolution sur les questions primordiales des artistes de la scène alternative. Tout ce que proposent les gouvernements successifs comme solutions demeurent provisoires.

Ce qui nous tient à cœur aujourd’hui est de continuer à former les artistes et les danseurs sur le plan intellectuel et culturel au même pied d’égalité que la formation technique. Nous croyons que l’avenir se travaille aujourd’hui en encadrant les jeunes artistes et en les préparant à continuer le combat pour des droits dignes de leurs efforts et talents.

 

Fidèle à vous et à vos valeurs, vous vous êtes lancés dans une nouvelle aventure. Parlez-nous de votre projet intitulé «Hors villes», en votre qualité de président de l’association danseurs citoyens?

 

Pluridisciplinaire, ce programme financé par le fonds Afac que l ‘Association danseurs citoyens organise, réunit des artistes, des compétences et des sensibilités diverses pour rêver et redéfinir ensemble un espace de création libre et affranchie.

L’objectif principal du projet «Hors villes» est de créer des résidences artistiques avec une vision participative basée sur la convergence et la coordination entre l’ensemble des styles artistiques. Dans cette perspective, cinq résidences artistiques ont été consacrées au cours de l’année dernière à des artistes tunisiens, à savoir Kholoud bin Abdullah, danseuse et graphiste, Maryam Akari, comédienne et écrivaine,  Radwan Shelbawi, danseur et artiste de cirque, Hani Belhamadi, compositeur de musique électronique et Marwan Abouda, scénographe.

Ces résidences ont servi de laboratoire pour échanger les méthodes et les outils de travail. Notre programme est basé sur la diversité et la multidisciplinarité. Notre ambition  était de permettre aux artistes tunisiens  d’acquérir de nouvelles compétences et d’ouvrir la porte à leur initiative créative au sein du marché tunisien et même à l’échelle internationale avec nos multiples partenaires. 

Nous considérons que cet appui matériel et moral pour les artistes est l’une de mes meilleures réussites car il a donné au projet son véritable statut d’incubateur artistique pour les créateurs.