
Maghreb1: Vous êtes sur la scène musicale tunisienne depuis 2012 avec un style artistique qui s’assimile facilement au Rai. Comment définiriez-vous votre art?
Akram Mag: Avant de chanter, j’étais comédien et professeur de théâtre. Pour ce qui est de mes choix artistiques, je m’inspire du Rai algérien et du Rai marocain que j’écoutais depuis que j’étais adolescent, mais je dirais qu’il est surtout question de musiques maghrébines. Je revendique cette identité parce que je me sens Nord-Africain avant tout, arabisé, islamisé. Mais voilà, j’ai toujours eu un fort attachement à la musique maghrébine parce que je trouve qu’elle est formidable, qu’elle est puissante artistiquement et humainement parlant.
Votre nom de scène, c’est Akram Mag, justement qu’entendez-vous par Mag?
Par Mag, j’entends «maghrébin». Donc quand je chante, j’essaie de ramener ma musique vers mes frères marocains, algériens, libyens. Dans ce sens, mon immigration à Paris m’a impacté dans la mesure où j’y ai fréquenté beaucoup de nos frères de toutes ces nationalités. Toutes ces rencontres ont orienté mes choix artistiques. Il faut aussi dire que depuis ma tendre enfance, j’écoute les musiques appartenant au Maghreb. Certes, j’aime beaucoup la musique orientale, je suis un amateur de musique égyptienne, je sais chanter libanais étant que j’ai démarré mes cours de théâtre à Damas. Mais outre le Rai, beaucoup de succès marocains ont fait partie de mon éducation musicale. Je cite par exemple la diva Latifa Raâfat, pour laquelle j’ai beaucoup d’admiration. D’ailleurs, l’une de mes chansons préférées est «Khouyi».
Une de vos chansons, «Ya moul el bar», compte plus de 96 millions de vues sur Youtube. Avez-vous prévu un tel succès et qu’est-ce qui est derrière ce succès?
Franchement, concernant la chanson «Ya moul el bar», je n’ai jamais pensé qu’elle aura ce succès. Ce titre n’est pas conforme aux canons de la chanson commerciale à proprement parler. Il est très nostalgique, mélancolique-même, mais je pense qu’il dégage tellement de sincérité qu’il a touché un large public. Par contre, il y a un morceau qui s’appelle «Chanaa» qui a atteint plus de 30 millions de vues et qui a rencontré le public marocain, entre autres productions cumulant quelques millions de vues. En effet, quand je travaille sur une composition, je suis toujours bercé par les rythmes gnawa, Jil jilala. En fait «Channaa» représente typiquement la musique marocaine.
J’ai aussi réalisé un titre qui s’appelle «Ya mi» après le décès de ma mère où j’ai fait une dédicace à Nass El Ghiwan reprenant un de leurs refrains culte. Et je répète souvent que le Maghreb a une musique vraiment universelle et éternelle parce qu’il a une identité très profonde.
Autant vos chansons sont accessibles à un large public maghrébin, autant elles se veulent en grande partie engagées. Comment expliquez-vous vos choix artistiques?
Je pense que la chanson engagée a toujours existé chez nous à travers notre histoire. La chanson maghrébine, que ce soit au niveau du Maroc, de l’Algérie, ou de la Tunisie, a toujours été engagée en abordant l’humain, les problèmes sociaux. Donc ce n’est pas nouveau au Maghreb, je ne suis pas le premier, des piliers, de très grands artistes maghrébins ont tracé cette voie. Je cite dans ce sens, Abdelouahab Doukkali, sa chanson «Ya Bent nass». Quelle poésie! Une telle œuvre me fait penser, avec tous mes respects, à Charles Aznavour dont je suis un grand fan. C’est La Bohème en mode maghrébin. Donc la chanson engagée a toujours eu sa place au Maghreb. Je n’ai rien ramené de nouveau. Nous, maghrébins, sommes quelque part anarchistes et pacifistes de naissance.
Quels sont les thèmes qui vous tiennent à cœur?
Les thèmes qui me tiennent à cœur ont trait à la famille au social: le respect des parents, l’immigration, l’injustice sociale… Ce sont des problématiques qui ne sont pas spécifiques à nos pays respectifs. Les injustices, les inégalités sociales existent au niveau mondial. C’est universel. Je me dis souvent qu’il faut parler à la grande masse parce que ceux qui écoutent et suivent la musique viennent en grande partie des quartiers populaires. J’ai eu la chance durant mon enfance de fréquenter aussi bien la classe aisée, ma mère en faisait partie, que la classe populaire grâce à mes grands-parents qui résidaient dans un quartier appelé «Saadoun», dans la médina de Tunis. Donc au-delà des chansons arabes, orientales, où ça parle exclusivement d’amour et de sentiments, j’ai toujours préféré quand l’art dépeint l’humain et parle de l’autre.
Même durant mon parcours dans le théâtre, j’ai suivi des cours de théâtre de rue, un théâtre engagé par essence.
Même si l’engagement peut ne pas transparaître de manière directe, notamment dans mon nouvel album, il n’en reste pas moins que le besoin d’empathie, de partage et de parler vrai sont ce qui guident mon art.
Je suis convaincu qu’un vrai artiste doit être avant tout un humain et avoir une certaine sensibilité vis-à-vis des gens. C’est très important. Je le dis et le redis toujours dans chaque interview: un artiste, c’est une chose, un interprète c’en est une autre. Un interprète a une superbe voix. Alors qu’un artiste a une philosophie de vie, une manière de voir.
Quelles sont vos influences?
Les gens qui ont bâti leur carrière, qui ont fait leur nom, réalisé leur réussite professionnelle avec leurs propres mains, grâce à leur engagement et leur passion, sont ceux qui m’influencent. Je pense que le chemin peut être assez long pour un artiste, surtout quand il démarre avec ses propres machines sans avoir l’intervention d’un tel ou d’un autre malheureusement. J’ai donc beaucoup de respect pour des gens comme Khaled, c’est le King. En fait, grâce à ce monsieur, on a créé la catégorie «World music» qui n’existait pas dans les rayons des magasins de disques avant la chanson «Didi» en 1993.
De telles figures, je les respecte parce qu’elles ont changé le cours de l’histoire d’une manière directe ou indirecte.
Comment voyez-vous la scène musicale au Maghreb?
J’estime que la scène musicale au Maghreb a beaucoup d’avenir. Un festival comme Mawazine par exemple est une fierté pour moi en tant que maghrébin, en tant que tunisien. Quand je vois une telle manifestation culturelle dans un pays frère, je ressens de l’admiration. Je pense que le Maghreb représente l’avenir d’une manière directe ou indirecte, surtout dans tout ce qui est World music. Notamment, quand l’on voit des artistes marocains comme Saad Lamjarred, Hatim Ammor en train de percer dans le monde arabe et pourquoi pas dans le monde entier. Même topo pour le rai algérien. Il s’agit des seules musiques qui sont installées sur la scène internationale.
Après Oum Kalthoum dans les années soixante-dix qui a débarqué à l’opéra et chanté à Paris, on n’a pas vu d’autres artistes arabo musulmans, sauf les artistes maghrébins. C’est en soi une fierté. Et je vois que l’avenir augure d’autres succès pour la scène musicale Maghrébine.
Pourriez-vous nous parler de votre carrière en tant qu’homme de théâtre? C’est toujours d’actualité?
J’ai toujours été passionné par le théâtre, je suis passé par Damas où j’ai suivi des cours d’interprétation et de prononciation en arabe littéraire. Après, je suis parti à Paris croyant que je ne vais jamais reprendre le théâtre.
Mais voilà, la vie a fait que j’ai fait la connaissance de diverses illustres personnalités du monde du spectacle qui m’ont pris sous leur aile. Je me suis donc retrouvé dans ce qu’on appelle le théâtre de rue, un théâtre social. J’y ai passé une dizaine d’années. Mais j’ai toujours été tiraillé entre ma passion pour le théâtre et ma passion pour la musique. Après énormément d’efforts et de rencontres, j’ai pu produire mon premier son qui s’appelle «Regragui style». Ensuite, il y a eu la production de «Chafouni Zawali» que je considère comme étant mon porte-bonheur, car ce titre a littéralement changé ma vie. Et à partir de là, en 2011, je me suis engagée réellement dans le monde de la musique et petit à petit, mon public a commencé à s’agrandir, le nombre des vues a augmenté également doucement, mais sûrement. Et ce, malgré les péripéties et les défis auxquels je fais face dans ce milieu. Ce n’est pas du tout évident surtout quand on est son propre patron et qu’on travaille avec les moyens du bord et qu’on se retrouve obligé de tout faire soi-même, c’est-à-dire l’écriture de texte, la composition, la mis en scène, la réalisation de clips...
Je trouve que l’artistique est une chose et la production en est une autre.
La production est un métier que je ne maîtrise pas bien. Même à l’heure d’aujourd’hui, je ne suis pas un bon producteur et je ne sais pas me vendre, mais artistiquement, j’arrive à faire de bons projets avec les moyens du bord.
Quel est votre modèle économique en tant qu’artiste. Est-ce que vous arrivez à vivre de votre art?
Je vais vous répondre franchement. Il y a quelques années, quand on a démarré, l’algorithme de YouTube était très démocratique. Il suffisait d’avoir du talent et un peu de chance pour être visible sans forcément avoir quelqu’un derrière pour booster l’artiste.
Avant Covid-19, je participais à nombre de festivals donc je ne rencontrais pas de problèmes financiers. Mais après, la donne a changé surtout que Youtube n’est plus du tout équitable: il suffit de mettre 5000 ou 6000 dollars pour qu’un titre très modeste cartonne alors que des artistes de très haut niveau peinent pour percer. On essaie de tenir bon quand même pour donner de l’amour et de l’art à notre public.